Dans le cadre des actions du Programme AlphaB, nous partons à la rencontre d'associations qui rejoignent nos thématiques (alphabétisation, lutte contre l'illettrisme, enseignement du français, solidarité...)
Ce mois-ci, nous vous présentons l'association Centre Alpha Choisy
Aujourd’hui, je rends visite au Centre Alpha Choisy, une association qui donne des cours de français dans le 13ème arrondissement de Paris depuis les années 1970. L’aventure est née d’un groupe de personnes touchées par le sort de leurs voisin·es, majoritairement des immigré·e· asiatiques, en difficulté avec le français et pour s’intégrer dans la société française. Depuis, cette petite initiative de quartier a bien grandi puisqu’elle accueille désormais 400 apprenant·e· du français chaque année… c’est dire le nombre de personnes qui ont pu bénéficier des actions du Centre Alpha Choisy pendant toutes ces années ! Le centre fonctionne surtout par le bouche-à-oreille puisqu’il est très bien implanté et connu dans le quartier ; la responsable pédagogique du centre m’en donne un exemple : « On a eu quelques tibétains qui sont arrivés il y a deux ans quand moi j’ai pris mon poste, et après il y a énormément de tibétains qui sont arrivés au centre… le phénomène de bouche-à-oreille est quand même très important ».
Toute la semaine, une quarantaine de formateur·rices bénévoles ou professionnel·les accompagnent les apprenant·es dans l’apprentissage du français, mais aussi dans l’apprentissage de la lecture et l’écriture pour les publics en alphabétisation. Une des formatrices bénévoles m’explique comment elle s’organise : elle et son binôme se réunissent chaque trimestre pour déterminer un programme de cours basés sur une thématique (le logement, la santé, etc.), puis elles se divisent le travail, et animent un cours sur deux en veillant à toujours bien préparer leur séance en amont.
Je suis d’ailleurs invitée à assister à une de ces classes. Je suis accueillie par Monique, formatrice bénévole et vice-présidente de l’association, qui accompagne cette année un groupe de personnes de niveau A2 en français. Aujourd’hui, c’est leur dernier cours de l’année ; pour fêter ça, café et petits gâteaux pour tout le monde mais avec le masque, coronavirus oblige. A la fin de l’année, chaque apprenant·e est évalué·e à l’oral et à l’écrit. Ils·elles sont donc en pleine correction des évaluations lorsque je rentre dans la classe. A l’issue des résultats, ils·elles sauront s’ils·elles ont assez progressé pour pouvoir passer au niveau B1. Malheureusement, la longue période de confinement a empêché les cours d’avoir lieu, et il a été difficile de progresser en français. Des cours sur Zoom ont pourtant été organisés pour celles·ceux qui avaient un ordinateur et une connexion internet, et des appels téléphoniques ont été mis en place pour ceux·celles qui n’avaient pas d’équipements numériques. Malgré ces alternatives et la bonne volonté de chacun·e, rien ne remplace un cours collectif avec la présence d’un·e formateur·rice. Monique constate, en effet, que cette année les apprenant·es ont moins progressé que les autres années, et qu’il y a eu une stagnation voire une régression du niveau sans les cours en présentiel.
Face à cette crise, le constat est frappant : personne n’était prêt·e ou équipé·e, et la fracture numérique a touché un grand nombre d’apprenant·es. Dans l’éventualité d’un deuxième confinement, la responsable pédagogique, avec qui je me suis entretenue, tient à former tout le monde au numérique, les apprenant·es comme les formateur·rices, et à utiliser plus d’outils numériques en cours pour que tous·tes se familiarisent avec.
Trouver des solutions, innover, et répondre aux besoins des autres, c’est un peu la spécialité de Zoé, la responsable pédagogique. Face aux différents enjeux auxquelles l’association fait face, elle a toujours de bonnes idées.
En voici quelques exemples qui pourront peut-être inspirer d’autres associations :
L’une des difficultés que rencontre la plupart des associations proposant des cours de français, c’est l’hétérogénéité des profils d’apprenant·es qui devient un véritable casse-tête lorsqu’il faut constituer des groupes. Le Centre Alpha Choisy semble pourtant avoir trouvé une solution avec la mise en place d’un système d’options. Lorsqu’une personne a des difficultés dans un groupe, elle peut prendre des options – des cours en plus- pour pouvoir « rattraper le niveau ». Par exemple, une personne dans un cours de FLE (Français Langue Etrangère), qui a du mal à lire et écrire, peut prendre une option appelée littératie pour renforcer ses connaissances à l’écrit.
L’association a aussi récemment recréé des classes d’alphabétisation. Zoé m’explique que des cours avaient été supprimés par manque de subventions, mais qu’aujourd’hui la situation a changé : « On s’est rendu compte qu’il y avait énormément de demandes, donc tant pis s’il n’y a pas de financement, il y a un moment où il va falloir quand même se remettre à faire des cours d’alphabétisation parce que c’est très très important et que c’est un long apprentissage ; des gens qui sont en difficulté face à l’écrit ne peuvent pas trouver de travail, ne peuvent pas avoir accès au numérique, ne peuvent pas suivre de cours au prochain confinement… donc c’est aussi se réajuster face à l’analyse des besoins, revoir l’offre de cours, c’est important. ».
La responsable pédagogique propose également un programme de formation de formateur·rices ouvert aux bénévoles du CAC et du territoire parisien. Ces moments de réflexions pédagogiques et d'échanges avec d'autres formateur·rices sont très précieux pour redynamiser l'enseignement, se sentir moins seul·es face aux difficultés que l'on peut rencontrer en classe et renforcer la qualité des cours.
Enfin, l’association a su depuis de nombreuses années s’adapter aux spécificités des apprenant·es. Elle propose, par exemple, un cours de langue de 15h30 à 17h30 – horaires que peu d’associations proposent – pour accompagner les personnes travaillant dans la restauration qui sont nombreuses dans le quartier.
Finalement, en parlant avec Monique et Zoé, j’ai compris qu’au Centre Alpha Choisy, l’aide allait bien au-delà de l’accompagnement linguistique. Tout d’abord, l’association compte une écrivaine publique, deux médiatrices sociales, et une salariée chargée d’insertion professionnelle. Les personnes peuvent donc aussi venir au centre pour de l’accompagnement professionnel, des conseils d’orientation, une aide administrative… et une oreille attentive. Parce qu’au centre Alpha Choisy, on donne beaucoup d’importance aux liens qui se créent entre les accompagnateur·rices et les apprenant·es. Il y a par exemple la fameuse « pause » entre les cours dont Monique la formatrice me fait mention à plusieurs reprises. Cette pause-café permet de parler avec les apprenant·es, d’apprendre à les connaître, et de créer une atmosphère de confiance au sein du groupe. Comme le dit la responsable pédagogique : « Le rôle du formateur est étendu, ce n’est pas juste enseigner le passé composé. Et puis il y a vraiment un lien privilégié qui se crée parfois entre les formateurs et les apprenants ». Monique qui est bénévole dans l’association depuis 23 ans, me raconte justement une anecdote qui illustre ce lien privilégié : à la suite d’un atelier de prévention sur les maladies sexuellement transmissibles au Centre Alpha Choisy, son groupe et elle ont décidé d’aller se faire dépister tous ensemble… une belle preuve de confiance !
Agathe Portal pour le Programme AlphaB
Pour contacter le Centre Alpha Choisy :
27 Avenue de Choisy 75013 Paris
01 45 84 88 37