Renaître avec les mots : voici un documentaire poignant car pris sur le vif, sincère et sans pathos. A travers ce film, nous suivons trois adultes illettrés, accompagnés depuis deux ans par l’association Mots et merveilles (Nord), car ils ont décidé de surmonter leurs handicap, honte et isolement de ne savoir lire ni écrire. Ils en témoignent ici pour rompre le silence, aider à dépasser les peurs, encourager leurs pairs invisibles.

 

Le premier obstacle vient de soi-même : un manque cruel d’estime de soi, un traumatisme qui a confisqué l’enfance ("pas eu de jeunesse"), la conviction de ne pouvoir accéder au savoir (les savoirs de base n'ont pas été acquis ou ont été oubliés malgré une scolarisation de plusieurs années). Comment abandonner les stratégies développées depuis si longtemps pour pallier ses manques et survivre sans les dévoiler ? Pas simple quand on a le sentiment d’être "emprisonnée  avec des barrières autour de soi". D’autant moins facile dans un monde où tout est image, enclin à l’exclusion et à la moquerie, qui incite surtout à baisser les yeux et à monter la garde - "tout faire pour le cacher" !

 

Les témoignages de Joëlle, Marie-Agnès et Thierry sont saisissants : tonalités des voix, contours des phrases, expressions et gestes... Entre aspirations et doutes, tout est combat pour se sentir vivant et digne. Les champs à réinvestir sont nombreux au-delà des apprentissages de base : image et confiance en soi, rapport au corps (look, santé, sport et hygiène) mais aussi à la féminité, relations sociales et sorties hors de chez soi... Les acquisitions se font pas à pas - "reprendre confiance en l’autre pour oser, progresser" - pour pouvoir affronter les démarches du quotidien, accéder à un emploi ou encore exercer sa fonction parentale. Les difficultés ne sont pas occultées, rehaussant d’autant ces paroles et images graves et directes, qui s’autorisent l’humour non la plainte. De fait, le courage et le temps sont des alliés nécessaires.

 

Ils se sont mis en mouvement, à la faveur d’événements différents : chacun a franchi le seuil de l’association qui les soutient de même que leurs proches. "C’est un acte d’amour pour ses enfants" qui tiennent une place centrale.

Joëlle apprend progressivement à exprimer ses sentiments pour ses enfants, à jouer en famille.

Marie-Agnès arrive à "remplir le vide par les mots".

Thierry serait plus heureux d’avoir du travail et fier d’avoir son propre salaire.

Tous ont gagné en autonomie et se sont redressés : "je vois le monde plus grand, plus beau", "avec la tête droite on change d’horizon, de vie, on voit...", "devenir adulte", "avoir un travail comme quelqu’un de normal, c’est la liberté"....

 

Plus qu’une revanche sur les insultes et humiliations subies, leurs témoignages font preuves. Un chemin et des soutiens sont possibles pour "se réapproprier sa propre vie" et envisager l’avenir autrement.

(*) En France, 7 % de la population adulte âgée de 18 à 65 ans ayant été scolarisée serait en situation d'illettrisme, soit 2,5 millions personnes en métropole. Et plus de la moitié d'entre elles exerce une activité professionnelle : la lutte contre l'illettrisme touche donc de très près le monde du travail.