Prison de Fleury Mérogis
Pour les besoins de l’article, nous attribuerons à cette Conseillère Pénitentiaire le prénom de Camille.
Ce weekend Programme AlphaB a rencontré une jeune femme Conseillère Pénitentiaire d’Insertion et de Probation à la prison de Fleury Mérogis. Samedi 10 janvier, c’est une jeune femme svelte et féminine qui me retrouve. Camille est pétillante, assurée, un brin espiègle, un brin fragile. Nous nous asseyons à un café du quartier animé de Bastille. Camille a accepté de nous parler de son travail. Elle nous dévoile son quotidien, ses difficultés mais aussi les questions de la langue et de l’illettrisme.
Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et de Probation, dans le jargon professionnel on dit CPIP.
Camille est en formation CPIP depuis un an et demi environ. A l’issue de deux années de pratique professionnelle, elle sera titularisée. Dans le cadre de cette formation, qui alterne cours théoriques et pratiques, Camille passe la majeure partie de son temps à la prison et occupe les mêmes fonctions qu’un CPIP diplômé.
Un CPIP c’est en quelque sorte un(e) assistant(e) social(e) auprès de personnes condamnées par la justice. Il travaille pour le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (le SPIP) et assure le suivi de détenus, qu’ils soient emprisonnés ou placés en milieu ouvert.
photo Ministère de la Justice
Camille m’explique qu’un CPIP a une mission première : réinsérer les détenus dans la société à l’issue de leur condamnation. Pour l’atteindre cet objectif, le CPIP a deux fonctions principales (qui se recoupent) : préparer la sortie des personnes condamnées par la justice et faire le lien avec l’extérieur. Ainsi, il sert en quelque sorte d’intermédiaire avec la famille, les interlocuteurs en matière de logement ou d’emploi, etc. Bien sûr, il s’évertue à prévenir les cas de récidive.
Un CPIP peut travailler auprès de personnes placées en milieu ouvert. Cela signifie que les personnes ne sont pas incarcérées. En matière de placement en milieu ouvert, il existe plusieurs types de peine :
Le sursis avec mise à l’épreuve : « c’est un sursis (mesure qui suspend tout ou partie de l’exécution de la peine) accompagné de mesures de contrôle et d’obligations particulières. La période d’épreuve ne peut être inférieure à 18 mois, ni supérieure à 3 ans. Le condamné est alors “surveillé” par le juge de l’application des peines et un agent de probation »1.
Le travail d’intérêt général : « travail non rémunéré effectué pour la collectivité. Cette peine ne peut être inférieure à 40 heures, ni supérieure à 240 heures »1.
Le placement sous surveillance électronique
La liberté conditionnelle : pour les personnes « qui en raison de gages sérieux de réadaptation sociale, sont mis en liberté par anticipation, sous condition de se soumettre au contrôle du juge de l'application des peines et de respecter diverses obligations pendant un délai au moins égal au reliquat de la peine »2.
Camille travaille à la maison d’arrêt de Fleury Merogis, qui est la plus grande prison d’Europe. Elle est située dans le département de l’Essonne.
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Achevée en 1968, la prison de Fleury a été construite à l’origine pour remplacer la prison de la Santé à Paris. Elle se divise en trois espaces : le quartier des hommes, le centre des jeunes détenus, la maison d’arrêt des femmes. Son directeur est actuellement Hubert Moreau. A l’image de nombreuses autres prisons, celle de Fleury observe une surpopulation importante. Conçue pour 2.748 personnes, la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis héberge 4109 prisonniers en mai 2014 (source Wikipedia qui se réfère, pour donner ces chiffres, à un article de Libération, qui n’est aujourd’hui malheureusement plus accessible en ligne)3. Cependant, ces chiffres se recoupent avec ceux donnés par un article du journal Libération de septembre 20134 et du Secours Populaire de juin 20125.
Enfin, un article RFI de juin 2014 parle d’une surpopulation de plus de 138% sur l’ensemble des trois structures6.
La conversation avec Camille est fluide et agréable, et nous en venons rapidement au champ d'intervention du Programme AlphaB : celui de la maitrise du français par les détenus et de ces conséquences.
Un article du 6 janvier 2015 du ministère de la Justice révèle que le taux d’illettrisme de la population carcérale est de 10,9%, ce qui est supérieur à la moyenne nationale (7%). En outre, « plus de la moitié des personnes détenues se situent au mieux à un niveau de fin d’études primaires et ne disposent pas de réelle qualification professionnelle » peut-on lire dans ce même article7.
photo Huffington Post
A la prison de Fleury Mérogis, l’illettrisme est effectivement une difficulté à laquelle Camille doit faire face.
Parmi les détenus qu'elle suit, il lui est délicat de chiffrer le taux des personnes qui se trouvent dans cette situation, mais elle estime que cela ne représente pas une majorité des cas. Elle précise cependant, que cette difficulté vient s'ajouter au nombre de personnes étrangères ayant des difficultés à comprendre et à s'exprimer en français.
Entre les personnes en situation d'illettrisme et les étrangers ne maitrisant pas ou peu le français, la problématique de la langue est réelle à la prison de Fleury et doit être prise en compte dans l'accompagnement global des personnes.
Camille m’indique que l’illettrisme est repéré dès les premiers jours du détenu en prison. Dans les 48 heures qui suivent l’arrivée du détenu, les CPIP doivent procéder à un « entretien arrivant ». Il s’agit d’une rencontre entre le détenu et son CPIP référent pendant laquelle sont traitées plusieurs points, dont la situation personnelle et les démarches liées à l'incarcération : situation familiale, pénale, scolaire et professionnelle entre autres. L’état des lieux de la situation scolaire a pour objectif d’évaluer le niveau de formation du détenu, sa maitrise de la lecture et de l’écriture. A l'occasion de cet entretien, les langues parlées par les détenues sont également notées, afin de repérer, d'une part les personnes ne parlant pas ou peu le français, d'autre part ceux qui pourraient servir d'interprètes.
Sur demande du détenu, ce formulaire est ensuite transmis au Responsable Locale de l’Enseignement de la prison. Ce responsable recevra le détenu pour organiser une démarche de formation (savoirs de base, diplômes tel que le baccalauréat, formations professionnelles, etc.).
La barrière de la langue avec certains détenus est une situation complexe. Or il n’y a pas ou peu de traducteurs dans les prisons. Camille m’explique que ce sont d’autres détenus, repérés en amont comme pouvant servir d'interprètes, qui sont sollicités pour assurer la communication. C’est d’ailleurs à l’occasion de « l’entretien arrivant » que le CPIP note les langues parlées par les détenus en vue de les solliciter pour d’éventuelles traductions futures.
Pour Camille, il y a un enjeu essentiel derrière cette barrière de la langue. « Faire appel à un traducteur détenu ce n’est jamais une garantie de précision et de fiabilité des propos recueillis. Et certaines choses ne peuvent pas être évoquées en présence du traducteur détenu. Or cet entretien tout comme le suivi personnalisé qui s’en suit sont fondamentaux ; ce processus s’intègre à notre mission de lutte contre la récidive. Si la communication s’avère compromise, c’est notre mission qui le devient».
Malgré tout, la démarche d’apprentissage reste un acte volontaire des détenus. Les CPIP ne vont pas solliciter ou sensibiliser ces derniers aux enjeux de la formation. les détenus. « C’est une raison de temps » me dit-elle. « Les CPIP n’ont pas le temps d’aller sensibiliser les détenus à ça. Mais pour éviter que certains détenus se renferment et que l’on ‘perde contact avec eux’, il y a une fois par an une Commission pluridisciplinaire unique dont l’objet est précisément de faire un tour de la situation de chaque détenu ».
La serveuse vient nous servir un second café ; je laisse la conversation suivre son cours. Camille en vient à me parler de la maitrise de la langue comme source de pouvoir entre les détenus eux-mêmes. Il est fréquent que des codétenus écrivent pour leur voisin de cellule qui n’est pas en capacité de le faire par lui-même. « Mais en prison tout se monnaye ! » me lance Camille « y compris écrire un bref texte. Et rapidement cela se transforme en racket… ».
La complexité des personnes non régularisées
Enfin, nous traitons d’un dernier sujet qui semble épineux : le cas des détenus non régularisés. Plusieurs difficultés jaillissent alors. « Ce sont des cas souvent complexes » m’explique Camille, « la personne a peu de chance d’espérer une situation stable à sa sortie. La prison n’arrange pas son cas… ». Elle affine son propos et m’explique que ces personnes ne peuvent pas bénéficier d’aménagement de peine ni être placées en milieu ouvert de part leur situation.
Il est également courant que certaines personnes sans papiers donnent un faux nom à leur arrivée, ce qui équivaut sur les registres carcéraux à « X se disant untel ». Or « avec une fausse identité on ne peut rien faire, on ne peut pas les aider ! ».
Une partie des personnes non régularisées a une chance (ou malchance) d’être récupérée dès leur sortie par la PAF, la police aux frontières, qui les astreignent alors à quitter le territoire : c’est l’Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF). « Il n’est pas possible d’anticiper ce risque, c’est la surprise ! » me dit Camille. Les détenus peuvent avoir été repérés ou non par la PAF. Cette obligation de quitter le territoire peut aussi être le fait d’une mesure judiciaire et non plus administrative : c’est alors une décision du juge.
Camille poursuit ses explications : « Certains détenus refusent de rentrer dans leur pays d’origine pour diverses raisons ». Alors ils affirment être originaires d’un autre pays que le leur, pays qui ne le reconnait pas. Dans ce cas là, à la sortie de prison le détenu va se retrouver en centre de rétention en France et c’est le début d’un cercle vicieux ».
Nous concluons sur la question du logement, qui est un problème commun à une majorité de détenus. « C’est quelque chose d’autant plus délicate à résoudre pour ceux dont la situation n’est pas régularisée. La majorité des centres n’acceptent pas d’accueillir des personnes non régularisée ».
photo metronews
Sur ces quelques mots, nous devons nous quitter. Il y aurait encore beaucoup de point à peaufiner et bien d’autres à explorer dans ce domaine. Ce sera l'occasion d'autres articles !
3 Article wikipedia sur la pirson de Fleury
4 Article Libération sur la prison de Fleury
5 Article du Secours Catholique de l'Essonne sur la prison de Fleury
7 Article sur la formation en prison, Ministère de la Justice
Pour en savoir plus sur le concours de CPIP